LE PARIS DES JO PRéFIGURE-T-IL LA VILLE DE DEMAIN ?

Contre toute attente, Paris n'aura peut-être jamais paru aussi belle, propre et gaie, que pendant les Jeux olympiques. Après des mois d'angoisse, tout s'est passé à merveille. La capitale, pleine d'une joie communicative, a résonné de langues du monde entier. On a pris des métros arrivés à l'heure et pas bondés, le Club France avait des airs d'oasis en plein désert et les monuments n'auront jamais été aussi sublimes que transformés en enceintes sportives. De quoi redorer le blason de la capitale, cette machine trop dense, bruyante et polluée ? 

Croissance globalisée 

Pas si vite. Comme toutes les villes du monde, souvent plus peuplées qu'elle, Paris souffre d'une course à la «grossitude», selon le philosophe et urbaniste Thierry Paquot, auteur du passionnant essai Mesure et démesure des villes (CNRS Éditions, à paraître le 12 septembre). Une tendance au gigantisme rendue possible par la mécanisation du travail agricole, l'exode rural et le développement des transports. Depuis environ deux siècles, on peut produire beaucoup plus, n'importe où, et consommer ailleurs. «En parallèle, se développe l'idée que la vraie vie se trouve en ville et que plus elle est grosse, plus on a de chance d'y trouver un travail, un logement, l'âme sœur… Nous avons réussi à rompre avec notre propre échelle et notre chronobiologie pour nous laisser imposer un rythme, celui de la ville.» De Tokyo à New York, de New Delhi à Lagos, les villes grossissent, s'étendent ou s'étirent. Se ressemblent aussi. 

«Pour nous, un lieu équivaut désormais à un autre dès qu'on peut y consommer ce qu'on cherche. Tout cela nous prive de la topophilie, comprenez : l'amitié des lieux. Or, nous avons besoin de savoir où l'on se trouve, où l'on se tient et où l'on puise nos racines. Le dire n'a rien de réactionnaire. Revenir à une taille humaine, c'est surtout revendiquer une qualité urbaine qui a disparu. Le quartier, par exemple, redevient important comme lieu de la familiarité.»

Cité plurielle 

Certes, mais les chiffres ? Existe-t-il des seuils au-delà desquels les villes dysfonctionnent ? Un nombre d'habitants maximum ? Oui, mais l'essentiel n'est pas là, juge Thierry Paquot. «L'être humain n'habite pas des mètres carrés, pas plus qu'un nombre de médecins ou de boutiques au mètre carré ne fait le bonheur. Nous recherchons la qualité, que chacun définit et mesure à sa manière.» De quoi ouvrir des questionnements vertigineux, mais aussi des horizons où tout semble possible. Et si la ville de demain était plurielle et modulable, comme pour s'adapter aux désirs de chacun et permettre de renouer des liens ? «Il nous faut relier la territorialité à la temporalité, ce qui doit se traduire par des propositions humaines différentes. Certains, ou la même personne à différents moments de sa vie, rêveront d'une ville de 3 000 habitants, d'autres, d'un million.» 

Puissance du vivant 

D'où le vœu de sortir de l'uniformisation pour renouer avec les spécificités de chaque ville. Un virage indispensable, également, pour adapter nos villes au changement climatique, et se souvenir du pouvoir de l'entraide. «Notre atout en France est d'avoir 35 000 communes. Pour que les plus petites puissent offrir la même qualité de vie que les grandes, j'appelle à développer des biorégions, poursuit Thierry Paquot. Ni administratives ni techniques, elles naîtraient de la puissance du vivant, humains compris, et de la capacité de tout ce qui le constitue à s'entendre pour s'épanouir.» Comme un nouveau contrat avec nos sols, nos eaux, nos forêts et les espèces qu'elles hébergent. Mais comment savoir qu'on y parvient ? 

» LIRE AUSSI - À Pigalle, est-on vraiment dans la même ville que les JO ?

«Par la plénitude, qui devrait être notre boussole, ce sentiment de calme, de paix et de douceur.» Presque un autre monde, lointain et pourtant si désirable. Et si cette juste taille des villes passait par la juste mesure de qui nous sommes ? «Nous sommes tous de quelque part, même le sans-abri, même le migrant de Calais. On ne peut pas être apatride, car on porte en soi son pays natal, et sa nostalgie.» Et, on a beau essayer, celle-ci n'est pas soluble dans un décor fait pour consommer, quel qu'il soit. 

2024-09-06T04:09:17Z dg43tfdfdgfd