À TOKYO, LA FééRIE DES CERISIERS EN FLEURS S’ADMIRE à BORD DU DISCRET «SAKURA TRAM»

Un tramway à Tokyo ? Si l'on connaît davantage celui des villes de Nagasaki ou Hiroshima qui sillonne leur cœur, la mégalopole dissimule dans son nord les vestiges de ce mode de transport qui révolutionna la circulation en ville. La capitale japonaise, qui disposait d'un large réseau dès la fin du XIXe siècle (on ne comptait alors pas moins d'une cinquantaine de lignes couvrant près de 200 kilomètres, à son âge d'or), a progressivement vu disparaître sa silhouette, quand Tokyo choisit de donner la priorité à l'auto et au métro. La nouvelle politique de transports mise en place à la veille des Jeux Olympiques de 1964 accélère la disparition des tramways tokyoïtes.

Tous ? Non ! Des habitants se mobilisent pour conserver un petit tronçon de leur ligne, la Toden Arakawa, mise en service au début des années 1910. Seule partie sauvegardée du réseau historique, celle-ci continue de serpenter à travers les quartiers populaires du nord de Tokyo, reliant la gare de Minowabashi à l'université de Waseda sur 12 kilomètres. Elle connaît même, chaque printemps, son heure de gloire : la ligne dessert de nombreux sites où admirer les cerisiers en fleur. Une particularité qui vaudra au tramway d'être rebaptisé «Sakura Tram» et à sa carrosserie d'être habillée de fleurs à cinq pétales. À bord, ses larges fenêtres et sa douce lenteur semblent avoir été imaginées pour l'observation de ces radieux végétaux qui animent ce poumon plein de charme de la ville, où le Tokyo de l'ère Shōwa semble n'avoir jamais disparu.

Plongée dans le Tokyo ancien

Depuis la station de métro Minowa, traverser l'intersection d'Ozeki Yokocho avant de passer sous le porche de l'ancien siège de la société du chemin de fer électrique Oji pour rejoindre la petite gare de Minowabashi, fait l'effet d'un bond dans le temps. Aux alentours, de petites échoppes colorées aux devantures désuètes animent le quartier. On fera un crochet par la shotengai (galerie commerçante) Joyful Minowa, à l'architecture rétro, pour se ravitailler en onigiris, yakitoris et autres douceurs sucrées en prévision des pauses. Sur le quai de la gare, les premiers voyageurs attendent déjà en file indienne.

Trente stations ponctuent la ligne. Certaines méritent de s'y arrêter pour une session photo ou explorer les ruelles des alentours, d'autres se traversent simplement, le nez collé aux vitres pour apercevoir les arbres bourgeonnants qui dépassent des clôtures et bordent les rails. Entre les stations Arakawa-nichome et Arakawa-nanachome (arrêts n° 4 et 5), ouvrez l'œil : les premiers sakuras de la ligne s'épanouissent le long de la voie et s'admirent en plongée depuis un drôle d'espace vert artificiel mais luxuriant, le parc d'Arakawa, qui coiffe une station d'épuration. Les bancs qui font face au bien-nommé lac des cygnes (et des tortues !) invitent à une pause-dégustation des mochis parfumés à la fleur de cerisier et autres pâtisseries pastel qu'on aura choisi plus tôt, la SkyTree en toile de fond.

De retour à bord, on laisse filer le tram jusqu'à la station Miyanomae (arrêt n°10), où l'on s'arrête pour immortaliser les somptueux cerisiers pleureurs qui habitent la cour du sanctuaire shinto Oguhachiman. On reprendra la route au niveau de la station n°12, Arakawa-yuenchi-mae. Avec un peu de chance, le prochain tram sera photogénique : si les véhicules ont été modernisés il y a quelques années, deux rutilants wagons reprennent fidèlement l'allure de ceux d'antan. À deux pas de la station Arakawa-shako-mae (n°13), des modèles des années 1950 et 1960 bien conservés, ainsi que de petites maquettes et des photos d'époque des quartiers qu'ils desservaient, sont exposés : avis aux ferrovipathes ! Le lieu, gratuit, est ouvert de 10h à 16h les week-ends et jours fériés.

Cent vues d'Edo et pont aux cerisiers

La pause déjeuner s'esquisse bientôt, annoncée par les touffus rangs de cerisiers qui bordent une petite colline. En haut s'étend le parc Asukayama planté de sakuras, tout proche de la station éponyme (n°17), auquel on accède par un mini-funiculaire. Vous risquez toutefois de ne pas être seul à venir y faire hanami : il s'agit du parc le plus populaire des environs où étendre sa bâche pour un pique-nique sous les branchages fardés. Le maître de l'estampe Hiroshige, qui illustrera les lieux dans son recueil des Cent vues célèbres d'Edo, a sans nul doute contribué à sa renommée.

Pour ceux que la foule aura fait plier bagage, sautez dans le prochain tram et arrêtez-vous à la station Shin-koshinzuka (n°20). Dix minutes de marche à peine vous conduiront au cimetière Somei (ouvert tous les jours de 8h30 à 17h30), où s'épanouissent sans bruit près d'une centaine de cerisiers à la vaste ramure, veillant sur le repos d'artistes et écrivains.

On remonte à bord pour une dernière course escortée de nuages poudrés au fur et à mesure que le tramway se rapproche de la station Omokagebashi (n°29) après avoir enjambé la rivière Kanda. À deux pas, le pont Omokage constitue l'un des plus beaux panoramas du parcours. Et lorsque la fin de la floraison est proche, assister à l'envolée des pétales emmenés par le courant est peut-être la meilleure façon de saisir toute la beauté de l'impermanence des choses, que le Japon chérit tant. De là, on remonte la rivière avant de rejoindre la station de métro de Waseda, qui nous raccompagnera jusqu'au centre de Tokyo, dont on aurait presque oublié le tumulte.

Itinéraire, horaires, prix… Les informations pratiques

Pour multiplier les sauts de puce sur la ligne, on opte pour le passe Toden d'une journée (400 yens, environ 2,50 €) qui s'achète à bord, au centre d'informations de Minowabashi ou sur une borne de la ligne Toei. Le Sakura Tram circule tous les jours entre 6 et 23 heures. La ligne étant très empruntée durant la floraison des cerisiers (qui devrait débuter à Tokyo aux alentours du 22 mars cette année), prévoyez votre escapade ferroviaire en semaine. Le week-end, levez-vous de bonne heure pour profiter des sakuras sans la foule ou promenez-vous à la nuit tombée sous les arbres illuminés. La ligne se parcourt sans interruption en un peu moins d'une heure ; avec les pauses, comptez une bonne demi-journée de visite.

«L'itinéraire en train du mois»

De la petite ligne pittoresque au long trajet à travers plusieurs pays, Le Figaro Voyage vous propose chaque mois une idée d'itinéraire à réaliser en train. Retrouvez nos précédents récits sur cette page.

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